A vendre: éducation chilienne

Publié le 6 Juin 2013

Je suis étudiante française, boursière et actuellement en échange universitaire à l’autre bout du monde. Dans mon pays, le système universitaire peut-être gratuit et public. Mes parents ne sont ni riches, ni pauvres. Je fais des études qui me plaisent et j’ai des rêves professionnels. Je suis étudiante au Chili, endettée et actuellement en grève depuis quelques semaines. Dans mon pays, les universités appartiennent à des entreprises privées et je suis perçue comme une source potentielle de bénéfices. Mes parents ne sont ni riches ni pauvres. Je fais des études qui me plaisent et j’ai des rêves professionnels. Nous sommes deux étudiantes, et nous partageons le même rêve un peu fou d’égalité.

 

Je n’ai pas choisis ce sujet pour des raisons politiques. Je n’ai d’ailleurs pas la prétention de m’approprier une lutte qui n’est pas la mienne. Mais en tant qu’étudiante, je ne peux rester indifférente. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de consacrer un article au mouvement de contestation étudiant qui est en marche depuis quelques années au Chili. C’est une lutte créative, violente, désespérante, forte, organisée, réprimée, courageuse, solidaire, impuissante, grandissante. Bref, c’est l’histoire d’une valse à deux temps, un peu improvisée mais clairement maîtrisée. C’est une danse qui n’a pas encore trouvée de fin, mais qui vaut la peine d’être considérée.

L'éducation ne se vend pas, elle se défend.

L'éducation ne se vend pas, elle se défend.

Dans un temps fort lointain, l’éducation chilienne était considérée comme étant un bien public, majoritairement financée par l’Etat. Mais en 1973, un personnage répondant au doux nom d’Augusto Pinochet décide de faire un coup d’Etat et d’imposer tout plein de principes qu’il jugeait intéressants. Si quelqu’un n’était pas d’accord, il disparaissait mystérieusement. Il en profite donc, entre autre mesure, pour privatiser le secteur éducatif. La « loi générale universitaire » de 1981 élimine la gratuité et libéralise le système. Plus clairement, les universités (publiques comme privées) doivent désormais être capables de s’autofinancer et peuvent devenir propriétés d’entreprises privées. Le gouvernement militaire a pris fin en 1989, mais la Constitution n’a pas été changée et la génération d’aujourd’hui doit encore être l’héritière de la dictature d’hier. Elle évolue sous l’autorité des lois et des principes qui ont été instauré sous un gouvernement illégitime. Mais la génération d’aujourd’hui est surnommée « génération libre et sans peurs », car elle est constituée de jeunes qui ne sont pas nés sous la dictature et qui retrouvent peu à peu le goût de la liberté d’expression.

Ni terroristes, ni délinquants, simplement étudiants conscients

Ni terroristes, ni délinquants, simplement étudiants conscients

Aujourd’hui, l’Etat finance moins de 25% du coût de l’éducation supérieure, ce qui signifie que l’étudiant doit assumer 75% de ce coût. Le modèle actuel permet la participation du secteur privé dans l’éducation, ce qui signifie que de grandes entreprises (parfois étrangères) deviennent propriétaires des universités. Leurs buts ? Peut-être l’amour de l’éducation, éventuellement un investissement, clairement une volonté de réaliser du profit.  Le système répond donc à une logique commerciale et mercantile. Pour la petite histoire, le président de la république actuel est un dénommé « Sebastian Piñera », parmi les 10 plus grandes fortunes du Chili. Entre 2009 et 2011, sa fortune est passée de 1000 millions à 2400 millions de dollars. Rien que ça. Je ne vous fais pas de dessins : le bonhomme est impliqué dans pas mal d’histoires un peu bizarres et garde pas mal de petits copains entrepreneurs que l’histoire des universités intéresse bien volontiers. En 2010, il passe une énième réforme sensée enfoncer un peu plus l’éducation dans les abîmes du système capitaliste et néolibéral. Pas de chance, c’est la réforme de trop. La goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est l’heure des prises de conscience.

A vendre: éducation publique

A vendre: éducation publique

Quelle prise de conscience me direz-vous ?

 

Selon l’OCDE, les universités chiliennes sont les plus chères d’Amérique du Sud, le coût est 19 fois supérieur à celui des universités françaises ! Si vous êtes riches (et intelligents), il n’y a donc aucun problème. Si vous êtes nés dans une famille pauvre ou moyenne, dommage pour vous. Au mieux, une banque vous accordera un crédit sur 15 ans et vous devrez donc payer deux fois plus cher qu’un étudiant « riche » (pas de prêt à taux 0 ici). Au pire, vous arrêterez les études. 50% des étudiants chiliens ne terminent pas leurs études faute de moyens financiers. Bref, cette situation se rapporte à quelques notions : inégalité, injustice, marginalisation. Or, les étudiants prennent conscience du problème à partir de 2006 et commencent à réfléchir sur le sujet. En 2011, le projet est beaucoup plus abouti et il repose sur la demande d’une réforme du système éducatif basé sur les principes de gratuité et de qualité.

A vendre: éducation chilienne
A vendre: éducation chilienne

L’année 2011 sera donc une année de mobilisation exceptionnelle. Les étudiants s’organisent de différentes façons : ils font grèves, bloquent les universités, manifestent dans la rue, protestent sur les réseaux sociaux, certains vont même jusqu’à faire des grèves de la faim. Ils courent aussi les étudiants chiliens, les pessimistes leur disent qu’ils courent dans le vide, mais ils se relais et ils tiennent le coup. Ils veulent franchir la ligne d’arrivée. C’est ça le but d’un marathon.

Malheureusement, c’est une lutte violemment pacifique. Les manifestations se terminent dans la violence, à cause de quelques étudiants et des policiers. Le problème, c’est que le rapport de force n’est pas le même et que des situations d’abus de pouvoir se font parfois (souvent ?) remarquer. La répression est évidente et on assiste à une criminalisation du mouvement. Et le pire arrive au cours de l’hiver 2011 : le jeune Manuel Gutiere meurt par balle. Il devient l’emblème des étudiants, un triste emblème.

Le Président réagit vite, réagit mal : « ils ne vont pas nous distraire » dit-il. C’est comme jeter de l’huile sur le feu. La population s’embrase. Je ne parle plus que des étudiants cette fois, puisque les parents et les grands-parents décident de rejoindre le mouvement. Ils veulent soutenir leurs enfants, mais ils veulent aussi lutter contre un système général et national : celui du capitalisme, avec son lot d’inégalités et d’injustices. Aujourd’hui, 80% de la population chilienne soutient le mouvement. Plus la répression est forte, plus les gens sortent dans la rue. Plus on est nombreux, plus on peut lutter. Lors d’une manifestation, un père prend la parole, et il dit sous les applaudissements : « je veux vous demander pardon. Pardon, aux jeunes qui sont le futur, aux professeurs. Pardon, parce qu’en tant que papas, nous n’avons pas été capables de sortir dans la rue et de manifester notre mécontentement. Mais maintenant, vous ne serez plus jamais seuls. Plus jamais ».

Les étudiants nous apprennent à être courageux

Les étudiants nous apprennent à être courageux

Nous sommes en 2013 aujourd’hui et les étudiants continuent de courir. Il y a eu des tentatives de dialogue, 3 ministres de l’éducation renvoyés et un Président obstiné. Sauf que les cartes changent de mains très bientôt : les élections présidentielles sont fixées à Octobre. Dans ma faculté, la grève générale a été déclarée et le blocus se profile à l’horizon.

Ils savent que c’est maintenant ou jamais. Ce que j’en pense moi ? Moi j’ai discuté de la situation un bon nombre de fois avec mes amis chiliens et américains (mais ces derniers ne saisissent pas vraiment le but de la lutte, allez savoir pourquoi), et je les comprends. Ce n’est pas ma lutte, mais c’est une cause qui me semble légitime. Je les vois essoufflés, fatigués, mais je ne les vois toujours pas vaincus. Et rien que pour leur volonté, je suis admirative de ces jeunes chiliens qui sont mes amis et qui sont le futur de ce pays.

Rédigé par Adeline

Commenter cet article
D
Sólo puedo decir que me sorprende enormemente y emociona ver lo profundo que has llegado a entender nuestra problemática social, pues no es fácil, todo parece estar hecho para distraer a las personas de los problemas que si existen. Me alegra que compartas nuestro sentimiento, mientras más voces se levantes quizás algún día aquí en el fin del mundo, las cosas cambien.
Répondre