Bella vista...

Publié le 10 Décembre 2012

Lorsque je ferme les yeux pour trouver les mots, ne me viennent que des dizaines d’images muettes. J’ai la sensation que chacun des moments que j’ai vécu depuis mon arrivée en Bolivie est devenu un petit bout de moi. A chaque fois, je suis persuadée que j’ai vu le plus beau et que j’ai vécu les instants les plus intenses. Pourtant, tout n’est qu’éternel recommencement : je fais de nouvelles rencontres, j’apprends un peu plus sur ce pays et je découvre des paysages toujours plus beaux. Et puis au milieu des sourires et des rires, il y a ces moments que je hais, où je me retrouve confrontée à des scènes de pauvreté auxquelles personne ne pourra jamais se préparer. Jamais je n’ai réussis à détourner le regard. J’ai beau fermé les yeux encore et encore, ces images restent ancrées dans ma mémoire et le seront sans doutes à jamais. C’est trop tard maintenant. Je n’ai pas eu de coup de foudre pour la Bolivie. Je crois plutôt que j’ai appris à l’aimer telle qu’elle est, avec ses beautés et ses blessures, en essayant de ne jamais la juger. Depuis que je suis ici, je me sens vivante. Cette relation me fait penser à quelque chose, à un sentiment. Ah oui, je sais : à une histoire d’amour.

Bella vista...

Le désert d’Uyuni fait partie de ces endroits pour lesquels je me disais « un jour, j’irai là-bas ». Par chance, Mano a Mano Bolivia a prévu un voyage début Décembre afin de faire l’inspection de trois centres de santé. Je sais que je vais y participer dès le début, mais l’échéance me paraît tellement loin que j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais. Et pourtant, les semaines défilent à une allure folle devant mes yeux et mon décompte des jours s’inverse : avant, cela fait X jours que j’étais en Bolivie. Aujourd’hui, je me dis qu’il ne me reste que deux semaines, deux petites semaines. Voilà le sentiment que je ressens au moment de mon départ vers Uyuni le Mardi 04 Décembre ; celui du gout prochain de la nostalgie.

C’est grâce à Monica que nous avons pu participer à ce voyage car le Docteur qui l’organise n’est pas du genre bavard. Il court toute la journée dans le bureau avec un air débordé et ne trouve même pas le temps de nous dire « bonjour ». Je crois que notre unique défaut selon lui est de ne pas être médecin. Qu’importe, j’ai travaillé sur la réalisation d’enquêtes d’impact et de satisfaction durant mon stage et c’est l’occasion pour moi de les confronter à la réalité. Je vois déjà vos visages surpris : « ah booooon, elle travaille en fait, elle ne fait pas que voyager ! ».

Un jour avant le départ prévu, nous n’avons toujours aucune nouvelle sur l’organisation et je commence à croire qu’on ne partira pas. Finalement, il vient nous voir à 15h la veille pour nous demander si on veut quelque chose en particulier pour le petit-déjeuner du voyage. D’un ton négligé, nous répondons que « non, on s’adapte à tout mais si on peut avoir du café, ce serait bien ». Et puis, une fois qu’il a tourné les talons, on saute au plafond ! On part avec Jessica (notre amie docteur belge), deux dentistes et le conducteur. J’ose encore espérer que le docteur cache une double personnalité et qu’il me montrera à quel point il est drôle autour d’une bière en fin de soirée.

 

Le clown qui se cache au fond de lui se découvre dès le lendemain matin. En effet, le départ était prévu à 2h du matin et il nous fait la bonne surprise d’arriver une heure avant, après avoir sonné à la porte et téléphoné. Lorsque j’entends qu’on m’appelle, je manque de tomber du lit. Il faut dire que nous avons dormis à 23h30 la veille parce qu’on mangé du saucisson et du gâteau à la broche devant un film. Du coup, je suis fatiguée, je ne suis plus où je suis et je n’ai qu’une envie : me rendormir. Le docteur nous accueille avec un modeste « vous avez du shampoing pour nettoyer le pare-brise ? ». 1, 2, 3, on respire calmement et on ne s’énerve pas. Je m’installe dans la voiture et je m’endors rapidement. Je me réveille juste parce qu’il est en train de me pleuvoir dessus (à cause du système moderne d’ouverture des vitres pour éviter la buée). La seule fois où j’ouvre les yeux, nous sommes en train de doubler deux camions dans un virage, donc je préfère me rendormir. Nous arrivons rapidement à Oruro, que j’ai à peine le temps de voir. Je retrouve ma bonne humeur à mesure que le soleil se lève sur le désert de l’altiplano. Je parle de désert car ce sont des étendues sauvages qui s’étendent à perte de vue, avec des paysages arides surplombées par des collines au loin. On aperçoit des lamas, des alpaguas et même des bigotes. Ils semblent être chez eux ici, à tel point qu’ils lèvent tous la tête au moment de notre arrivée. Je crois qu’on les dérange, et l’idée me plait bien de savoir qu’ils se sentent assez chez eux pour avoir cette réaction.

Bella vista...

Après 9h de voyage, nous arrivons enfin dans le centre de santé construit par Mano a Mano Bolivia en 2010, situé dans la communauté de « Bella Vista ».

On comprend rapidement que les docteurs vont passer la journée à offrir des consultations aux habitants. Je me demande ce qu’on va faire tout ce temps, sachant que la réalisation d’enquêtes nécessite maximum 1 heure. Je me sens un peu mal à m’imaginer ainsi jusqu’au Samedi soir et je me surprends même à avoir envie de rentrer à Cochabamba. Pour ne pas rester dans cet état d’esprit, nous décidons d’aller nous promener dans la communauté pour avertir la population de notre présence. Il doit y avoir une vingtaine de maisons maximum, qui semblent se fondre dans le décor par la couleur et la simplicité

Bella vista...

Les gens nous regardent avec curiosité, mais semblent enthousiasmés par la présence de deux dentistes. En fait, la majorité d’entre eux n’ont jamais vu de dentistes. Les enfants commencent à défiler sous nos yeux, un peu timides mais bien curieux. Ils sont pratiquement tous des carries, et les dentistes sont obligés de leur arracher les dents touchés pour éviter une propagation plus grave dans le futur. Contrairement à nos voyages précédents, les membres de la communauté semblent moins distants avec nous : ils viennent nous serrer la main, parlent avec nous et échangent leur ressenti. J’en profite pour réaliser une enquête auprès d’un membre de la communauté, qui trouve que le centre est trop petit par rapport aux besoins croissants de la population.

Face à notre ennui, Jessica nous propose de l’aider à peser les enfants et les bébés. C’est juste ce qu’il nous fallait pour établir un contact avec eux. Je crois qu’ils sont un peu intimidés au début, nous devons les porter, enlever leur chaussure… Eux se contentent de nous regarder avec un air curieux. Une des petites que je vais chercher dans le bureau du docteur s’accroche à ma main avec ferveur. Je crois qu’elle a peur, des étrangers et de la modernité. Une fois que la consultation est terminée, elle vient nous rejoindre dehors et les enfants commencent à s’approcher de nous. A force de sourires et de regards, ils osent nous parler, puis s’amuser.

Bella vista...

Dans l’après-midi, le vent se lève avec fureur sur l’altiplano, il soulève la terre pour former des mini tornades. L’infirmière m’explique que le phénomène se répète tous les jours. Nous partons du centre accompagné par le froid et l’obscurité, avec l’infirmière qui doit nous guider jusqu’au prochain centre de santé. Pour la première fois depuis mon arrivée en Bolivie, je me sens soulagée de quitter cet endroit. Il n’y a pas d’électricité, il fait froid et j’ai une envie folle de dormir. Il faut normalement 2h15 de trajet. Nous avons mis 5h. En fait, une fois que la nuit est tombée, il était impossible de reconnaître quoi que ce soit au milieu de ses chemins infinis de campagne. L’infirmière dort à moitié et semble choisir les chemins un peu au hasard. La dentiste ne cesse de dire « on est perdus là, non ? ». Je nous vois déjà en train de dormir dans la voiture jusqu’au lendemain. Et puis finalement, je m’endors et je me réveille à côté d’un centre de santé. Je ne sais pas comment, mais nous y sommes arrivés ! A 1h du matin, il n’y a personne dans le centre, mais par chance une porte est ouverte et nous entrons. L’un des avantages d’être une fille est de pouvoir bénéficier d’un peu plus de confort. On a la chance de pouvoir dormir dans les lits de la salle d’internement. En même temps, j’aurai pu m’installer à même le sol, je crois que je ne me serai dans tous les cas effondrée de sommeil. Et puis, après tout, peut-être qu’on aura un vrai petit-déjeuner demain matin, avec une tasse de café brulante. Oh oui, juste du café…

Rédigé par Adeline

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